Entreprises libérées : les exemples historiques
Définition de l’entreprise libérée, un concept popularisé par Isaac Getz
L’entreprise libérée est un concept de gouvernance défini par Isaac Getz dans son ouvrage Liberté & Cie (2012). Selon lui, une entreprise est libérée lorsque « la majorité des salariés ont la liberté et la responsabilité complète d’entreprendre toute action qu’eux-mêmes – et non leur patron – estiment la meilleure pour l’entreprise ».
Les fondements d’une entreprise libérée :
- un leadership libérateur : le dirigeant prend la place d’un leader qui crée un cadre de confiance et enlève des obstacles bureaucratiques ;
- une autonomie de responsabilités : les employés doivent pouvoir prendre eux-mêmes les décisions concernant leur travail et périmètre d’activité ;
- une suppression de contrôle : le système doit être fondé sur la motivation intrinsèque des salariés et ne pas dépendre de surveillance, ou de micro management.
L’entreprise libérée est un modèle de gouvernance construit en organisation horizontale.
L’exemple de l’entreprise libérée : la critique du management traditionnel en entreprise.
Dans ses travaux Getz s’appuie des recherches de Deci et Ryan en psychologie du travail. Et l’un des éléments clés de leur travaux montre que la motivation (au travail) réside en 3 points : 1/ l’autonomie, 2/ le sens au travail et 3/ le cadre de confiance.
Cette observation a permis de construire un modèle organisationnel alternatif : l’entreprise libérée. Un modèle qui s’est construit en opposition à l’organisation et hiérarchie verticale pour aller vers un système de responsabilités partagées.
Gore-Tex, exemple précurseur du modèle d’entreprise libérée
L’entreprise Gore-Tex a été l’un des précurseurs des entreprises libérées, même si elle ne rentre pas complètement dans ce modèle. Fondée en 1958, Gore-Tex est une entreprise américaine qui compte aujourd’hui près de 10 000 collaborateurs.
Beaucoup de pro « entreprises libérées » s’inspirent de cette entreprise qui a construit un modèle organisationnel hybride :
- des salariés associés : chaque collaborateur peut détenir des parts de l’entreprise, ce qui renforce son engagement et sa motivation pour contribuer à la réussite de Gore-Tex ;
- une structuration projet plutôt que métier : les collaborateurs ont des projets attribués et travaillent de manière très transversale, plutôt que d’être cloisonnés au sein de services spécifiques ;
- du temps dédié à de l’innovation et de l’expérimentation : chaque collaborateur a 10% de son temps métier consacré à de l’innovation ;
- le maintien d’une présence managériale et d’accompagnement : des plans de développement personnel et d’accompagnement sont mis en place pour chaque collaborateur ;
En résumé, bien que Gore-Tex soit novatrice sur la « liberté » accordée à ses salariés, c’est la structuration qui a permis le développement de ce modèle hybride. En d’autres mots, Gore-Tex n’est pas une entreprise libérée telle que Getz l’entend, car la présence managériale et les processus organisationnels servent de cadre favorable à la fois à l’épanouissement de ses collaborateurs et à sa performance économique.
Favi, l’exemple populaire de l’entreprise libérée en France
FAVI, une PME dans la métallurgie, est connue comme la 1ère entreprise libérée française. Avec 300 collaborateurs, Jean-François Zobrist, le directeur général jusqu’en 2009, a décidé de supprimer le système hiérarchique en place pour donner une autonomie complète à ses collaborateurs.
De la même façon que Gore-Tex, FAVI a réparti l’ensemble des ses ouvriers en de petites équipes qui s’auto gèrent. Pour le DG le résultat est sans appel :
- du temps libéré pour la direction et les managers qui ne gèrent plus les « petits problèmes » du quotidien ;
- une productivité en hausse grâce à une organisation projet et une responsabilité individuelle plus grande ;
- un taux d’absentéisme réduit lié à l’investissement et l’implication des équipes ;
En résumé, le succès des 2 entreprises libérées qu’on prend en exemple depuis le début des années 2000 fonctionne majoritairement sur :
- Le partage d’une vision commune pour l’entreprise, avec une culture d’entreprise forte, pour avancer dans l’intérêt de l’organisation ;
- Le développement d’un nouveau modèle de gouvernance : développement de l’actionnariat salarié, ouverture du pilotage, transparence stratégique ;
- La capacité à s’organiser de manière transversale et pas silotée : construction d’équipes projets, désilotage du travail par service.
Des éléments qu’on ne retrouve pas forcément parmi d’autres entreprises qui ont tenté de de devenir elles aussi des entreprises libérées. Voyons pourquoi.
Entreprises libérées : exemples d’entreprises qui ont souffert de ce modèle
Zappos, exemple d’une entreprise libérée qui a perdu 18% de ses employés
Quand Zappos, société d’ecommerce américaine, a annoncé la bascule de leur modèle organisationnel vers une entreprise libérée, 18% de leur effectif, soit 260 personnes, ont décidé de partir.
Un modèle organisationnel qui ne fait pas rêver finalement tout le monde, et qui laisse régner un flou organisationnel. Car après plusieurs vagues de départ, les collaborateurs ont eu le sentiment qu’une déresponsabilisation générale a émergé : à qui doit-on rendre des comptes ? comment valide-t-on une décision ?
Et au lieu de créer un système plus fluide et réactif, on a observé plutôt l’effet inverse pour Zappos :
- une multiplication de réunions pour prendre une décision collective plutôt qu’individuelle ;
- un système figé par la peur d’apporter des changements et des impacts non maitrisés.
Responsabiliser ses collaborateurs, et leur permettre de prendre des décisions seuls, n’est possible uniquement si des processus clairs et formalisés sont en place, et qu’un système de formation leur permettent d’acquérir ce type de compétences.
Or, généralement, quand on supprime cette responsabilité qui incombe à une ou plusieurs personnes, on observe 2 phénomènes : 1/ la reconstruction de l’ancien modèle avec des leaders non officiels qui reprennent en main certains sujets ou 2/ l’effet témoin et la déresponsabilisation individuelle face à des situations (quelqu’un s’occupera bien de cette situation).
Uditis, exemple d’une entreprise libérée qui fait machine arrière
Les dirigeants (DG) d’UDITIS, PME de 50 collaborateurs, ont décidé de revenir à un modèle plus cadré après avoir testé le modèle d’entreprise libérée.
Après avoir été séduits par le principe de réduire les contraintes auprès de ses collaborateurs et de remettre l’humain au centre, les 2 DG font machine arrière. Pour eux, passer d’un modèle très normé à une suppression de l’organisation verticale a été une transition trop brutale, ce qui a engendré plusieurs conséquences :
- un renforcement des habitudes de télétravail et d’isolement des collaborateurs avec une diminution du temps de partage collectif ;
- un sentiment d’abandon des managers de la part des équipes, qui se sont senties livrées à elles-mêmes ;
- des objectifs moins clairs et une diminution d’investissement de la part des collaborateurs ;
Retrouvez le témoignage complet de Michel Perrin, l’un des 2 DG, dans l’article du magazine Le Temps.
Au-delà des problèmes liés au système organisationnel de l’entreprise libérée, la première difficulté réside dans la transition vers ce nouveau modèle, et la difficulté de préparer les collaborateurs à la conduite du changement. Ensuite l’absence de structure, de hiérarchie, ou de managers, est souvent le symptôme de fond d’une difficulté managériale.
L’entreprise libérée, une fuite en avant pour des managers faibles ?
Le DG de FAVI exprime lui-même dans l’interview de France Info TV sa volonté de ne pas devoir se préoccuper des problèmes internes, quand il se qualifie de patron naïf et paresseux : Paresseux, car j’ai tendance à ne pas régler les problèmes, mais à les supprimer.
Car oui, manager l’humain prend du temps, et demande des compétences spécifiques pour bien accompagner ses collaborateurs. Alors l’entreprise libérée représente souvent un effet d’aubaine pour ne plus avoir à traiter ce qui concerne l’humain sous prétexte que chaque collaborateur puisse s’auto gérer et soit responsable.
En d’autres mots, en supprimant le management de proximité et le système hiérarchique, l’entreprise libérée simplifie certes ses processus, du moins en apparence, mais complexifie les interactions sociales : déresponsabilisation, non gestion de conflit, lenteur de prise de décision, diminution du sentiment d’appartenance… Plus que supprimer un système hiérarchique, l’entreprise libérée supprime les représentants et garants de la culture d’entreprise, ce qui rend de plus en plus complexe la viabilité d’un tel système.
Alternatives aux entreprises libérées, des exemples de gouvernance innovante
Les avantages d’une gouvernance ouverte, de l’actionnariat salarié, ou de SCOP
Les désagréments de l’entreprise libérée ne veut pas dire pour autant que certains de ces principes ne sont pas à étudier ou inintéressants ! De nombreuses entreprises ont mis en place plus des modèles hybrides qui reprennent certaines notions communes avec l’entreprise libérée.
L’ouverture de la gouvernance, l’actionnariat salarié, ou encore les entreprises en coopérative (SCOP) c’est à dire sensibiliser les collaborateurs aux enjeux stratégiques de l’entreprise, se développent de plus en plus, et permet d’intégrer les équipes aux différentes instances de prises de décisions.
Ouvrir la gouvernance renforce le sentiment d’appartenance et la motivation mentionnée comme par Isaac Getz sur l’entreprise libérée. Ce mécanisme fonctionne sur plusieurs niveaux :
- augmentation de la transparence sur des sujets stratégiques ;
- participation à la définition des objectifs de l’entreprise ;
- renforcement de la communication auprès des équipes.
Enfin, nous pensons, de manière générale, que le management (pas uniquement hiérarchique comme le caractérise les adeptes de l’entreprise libérée), reste primordiale dans la vie de l’entreprise, que ce soit pour motiver les équipes, apporter de la reconnaissance, ou conduire le changement, comme lorsqu’on change de modèle organisationnel 😉